Chapitre D'ouvrage Année : 2022

Un mort protestant dans la demeure des rois de France : le maréchal de Saxe au château de Chambord (30 novembre 1750 - 8 janvier 1751)

Résumé

Au château de Chambord, une grande table du XVIIIe siècle, en pierre de liais, évoque les fastes macabres d’un résident illustre. D’après une légende restée vive, on y aurait embaumé le corps de Maurice de Saxe, maréchal général des camps et armées du roi de France. Le 30 novembre 1750, ce fils naturel d'un électeur de Saxe (Auguste le Fort) mourut dans ses appartements, des suites d’une pneumonie. Sitôt informé de son décès par l’administration des Bâtiments royaux, Louis XV ordonna que son cadavre fût gardé sur un lit de parade et qu’on lui rendît les honneurs militaires comme de son vivant, le temps que la couronne connût le désir de son demi-frère royal, Auguste III de Pologne. Alors qu’on ignorait quelles étaient les dernières volontés de ce grand officier militaire demeuré luthérien – recouvrir son corps de chaux vive (testament olographe du 1er mars 1746) –, il reposa dans la salle d’apparat, embaumé, cœur et entrailles ayant été scellés dans des réceptacles séparés. Sa garde le veilla durant quarante jours, jusqu’au départ du convoi mortuaire pour Strasbourg. Ses obsèques eurent lieu en terre protestante, au Temple neuf, car l'on ne pouvait honorer sa mémoire ni dans l’un des sanctuaires royaux en France (une messe funèbre à Notre-Dame de Paris, une sépulture en la nécropole de Saint-Denis), ni en Saxe électorale à Dresde. Une autre relique historique – l’urne cardiaque en vermeil, conservée à Strasbourg –, des récits de funérailles, des papiers curiaux (Maison du roi, archives diplomatiques, de la Guerre), des écrits auliques, disent le paradoxe d’une mort protestante dans le domaine de la monarchie française au milieu du XVIIIe siècle, sous le régime de l’édit de révocation de 1685. Dans sa demeure parée de deuil, le roi fit honorer un grand serviteur ayant œuvré pour sa suprématie militaire en Europe. Le corps partagé de son familier y manifesta surtout l’éminente dignité et les ambitions déçues d’un « prince bâtard » légitimé, naturalisé français, qui fut apparenté aux maisons de Saxe et de Bourbon par les liens du sang et par un mariage princier (sa nièce Marie-Josèphe de Saxe avait épousé le dauphin de France en 1747). En conservant ses grâces au défunt artisan du parti saxon à la cour, le souverain aura soigné les intérêts communs des Bourbons et des Wettin – la lignée électorale, catholique depuis 1697 – alors que se jouait le sort de la Pologne et des États baltiques dans son système d’alliances en Europe du Nord.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03410830 , version 1 (01-11-2021)

Licence

Copyright (Tous droits réservés)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03410830 , version 1

Citer

Myriam Gilet. Un mort protestant dans la demeure des rois de France : le maréchal de Saxe au château de Chambord (30 novembre 1750 - 8 janvier 1751). Anne-Marie COCULA; Michel COMBET. Mourir au château, Ausonius, pp.151-166, 2022, Scripta Mediaevalia, 9782356135193. ⟨hal-03410830⟩
177 Consultations
0 Téléchargements

Partager

More