Dans son autobiographie, Kasparov montre comment il a construit son parcours d’homme et de champion d’échecs en s’inscrivant dans une dialectique qui va du respect des règles – du jeu, du système soviétique – à leur remise en question radicale ; son duel avec l’apparatchik Karpov en témoigne. Sa conquête de « l’Olympe échiquéen » est caractérisée par une hybris dont il a parfaitement conscience : « J’avais vingt-deux ans, j’étais le plus jeune champion de l’histoire des échecs ; le monde était à mes pieds, ainsi que dit le poète, ‘comme une contrée de rêves si variés, si beaux, si nouveaux’ ». Cette libido dominandi est interrogée à travers une véritable réflexion littéraire : ce poème de Matthew Arnold n’est qu’une des nombreuses références, tant explicites qu’implicites, que le champion, fin lettré, cite aussi facilement que les théoriciens du jeu. Il évoque toute la diversité de la littérature, Fitzgerald, Vissotski, Tolstoï, Pouchkine, Stevenson, Tolkien, (faisant du Seigneur des anneaux une métaphore du jeu d’échecs) ou Shakespeare, et compare « le génie littéraire » et « celui des échecs ». Mais cette autobiographie est aussi l’occasion, pour le logicien qu’est tout joueur, de mettre en équation son parcours, de rationaliser la superstition elle-même : « 13 s’est avéré mon nombre de chance, et je demande le 13 chaque fois que je vais dans un hôtel. […] Je suis le 13ème champion d’échecs, j’ai remporté mon titre par 13 victoires à 11, dans la 85ème année du siècle (8 et 5 faisant 13) ».