Être ou ne pas être mère, en migration. Le cadre de ma proposition est une réflexion sur ce que la parenté fait à la migration, et inversement. Ici, l'absence d'enfant ne tient pas à l'impossibilité de concevoir : l'enfantement a eu lieu, il a fait de la femme une génitrice et une mère, l'enfant vit mais il est physiquement absent de la vie de sa mère, les deux sont séparés par la migration. L'absence d'enfant s'ensuit, d'une part, de l'éloignement de la mère et, d'autre part, des exigences juridiques et administratives qui régissent le séjour des personnes étrangères en France, exigences dont la connaissance et la maîtrise posent de nombreuses questions (Fogel 2019). Il s'agit de mères qui ont confié leur(s) enfant(s) à des proches parent.es pour émigrer d'Afrique de l'Ouest (Mali, Sénégal, Cameroun). Ce premier acte a modifié la composition du groupe familial, les fonctions des différents membres et leurs interrelations-et ces changements se poursuivent tout au long de l'absence. Installées à Paris, elles travaillent au service de familles françaises, prenant soin de leurs enfants. Elles vivent un temps sans papiers puis demandent la régularisation de leur situation administrative. Pour réussir ce second acte, elles doivent réunir des documents d'état-civil et des preuves de présence et d'activité sur plusieurs années. Dans la composition de leur dossier, en remplissant les formulaires, mentionnent-elles (tous) leurs enfants vivant au pays ? Quelles sont leurs représentations, quels sont leurs discours à propos des catégories familiales permettant l'accès au séjour légal ? Pour se positionner en fonction de ces catégories, se présentent-elles en tant que mères, en tant que femmes célibataires ? Certaines stratégies se fondent-elles justement sur l'absence d'enfant ? L'alternative apparente entre ces deux statuts couvre-t-elle l'ensemble des représentations et des pratiques ? Comment expriment-elles l'écart entre la réalité de leur vie et cette mise en scène plus ou moins proche ? Comment être ou ne pas être mère, en migration ? Ces questions laissent volontairement de côté les aspects psychologiques de ces relations entre mère et enfant, relations troublées par l'absence. Elles prennent au sérieux les discours de ces femmes émigrées sur la présence, là-bas, d'autres mères pour l'enfant. Et également sur la présence pour elles d'autres enfants, ici, par l'intermédiaire du travail du care. Sur le plan méthodologique, c'est dans la relation ethnographique que j'établis avec ces femmes avant la procédure de régularisation, et qui se poursuit pendant et au-delà avec certaines, qu'apparaissent différents aspects et différentes phases de cette parenté comme expérience et comme pratique. Sur le plan théorique, je reprends volontiers les propositions de Bonnet (1988) sur la maternité comme condition de l'être féminin, en les complétant par celles de Lacoste-Dujardin (1985) sur l'accomplissement par l'accès au statut de belle-mère qui exemplifie le rapport de la mère contre la femme-pour paraphraser le titre de l'ouvrage. La situation migratoire me permet de relativiser les positions de Carsten (2004) et de Weber (2005) sur le partage de la vie quotidienne comme condition de la relation de parenté. Dans ce sens, je rejoins certaines des réflexions de Barou (2001) à propos de la paternité à distance, et celles de Bathaïe (2011) sur les relations familiales à distance.