Cette communication propose de présenter la méthode et les résultats d’une étude cherchant à qualifier les changements dans les situations individuelles suscités par les politiques sociales et familiales. Elle repose sur une analyse des effets du travail social des CAF réalisée par une équipe de recherche mêlant sociologues et économistes entre 2018 et 2020. L’enjeu théorique et méthodologique principal de cette communication concerne le défi posé par la mesure de ces changements : pour y répondre, la recherche a construit des indicateurs quantitatifs spécifiques, et a proposé une méthode d’articulation des méthodes associant analyse statistique et démarche qualitative compréhensive. L’accompagnement social des CAF est mis en place en France par 2 500 travailleurs sociaux. Cette politique sociale procède par la mise à disposition de professionnels et par la proposition de rendez-vous aux personnes à la suite d’évènements survenus dans leur vie et liés à trois grands domaines : le logement, la parentalité, et l’insertion sociale. La durée et les rythmes de ces interventions sont variables mais elles sont administrativement conçues comme transitoires et de courte durée. L’enjeu principal de la mesure des effets de cet accompagnement concerne le choix des indicateurs de changement. Dans la littérature, les méthodes favorisées sur ce plan sont dominées par des évaluations sur échantillon randomisé avec un groupe traité et un groupe de contrôle. Ces études définissent des mesures du changement à partir d’indicateurs consistant à évaluer le décalage entre des input et des output matériels (le fait d’accéder à un logement ou non, à un emploi ou non, d’augmenter ou non son niveau de revenu). Il est rare qu’elles interrogent la dimension subjective du changement et qu’elles tentent de mesurer ses dimensions plus immatérielles. Pour pallier aux limites de ces enquêtes évaluatives, cette recherche pluridisciplinaire a fait le choix d’une approche par les capabilités et par le bien-être, mesurés subjectivement. Les capabilités concernent les libertés réelles de choix qu’ont les individus pour agir (Sen, 1999). L’approche du bien-être subjectif choisie concerne la satisfaction des personnes dans leur vie (Diener & al., 2012 ; Bradshaw, 2019). Mesurer à la fois l’évolution des capabilités et du bien-être (Al-Janabi & al., 2013 ; Alkire, 2015) permet d’apprécier les changements matériels comme immatériels. Cette approche appréhende les effets des politiques sociales en dépassant les impensés des modèles causaux et en insistant sur les processus relationnels conduisant à ces changements. Cette communication reviendra sur la méthodologie employée pour la sélection des capabilités pertinentes et leur mesure, en mettant en avant les possibilités ouvertes par l’articulation étroite entre un volet de recherche qualitatif (27 entretiens avec des personnes accompagnées, 16 entretiens avec des travailleurs sociaux dans trois CAF) et un volet quantitatif. Le volet qualitatif a permis la conception du questionnaire en dégageant cinq grands domaines de capabilité particulièrement impactés par l’action sociale des CAF (au plan matériel et financier (i), en termes de compétences et de savoirs (ii), de liens sociaux (iii), d’estime de soi (iv) et de santé (v)). L’évolution de ces capabilités a ensuite été mesurée à travers un questionnaire rétrospectif administré à un échantillon de 1 001 personnes représentatives des 40 354 personnes accompagnées par les CAF en 2018 et 2019. Le recours aux bases données administratives de la CNAF, croisées avec cette recherche, ont apporté des éléments supplémentaires à la caractérisation des publics et de la relation d’accompagnement. Coupler de cette manière les approches compréhensive et statistique conduit à éclairer sous un nouveau jour les changements suscités par les politiques sociales sur leurs publics, en étant également attentif à des domaines de changement rarement appréhendés, tels que les aspects psychologiques, relationnels et affectifs. Cette méthode permet également de formuler des hypothèses sur les mécanismes qui rendent l’accompagnement susceptible de produire de tels effets. Références citées : - AL-JANABI H., KEELEY T., MITCHELL P., COAST J. (2013), « Can capabilities be selfreported? A think aloud study », Social Science & Medicine, 87, 116-122. - ALKIRE S. (2015), « Capability Approach and Well-being Measurement for Public Policy », OPHI Working Paper, 94, Oxford University. - BRADSHAW J. (2019), « Les études sur le bien-être subjectif des enfants. Quelques points de discussions », Revue des politiques sociales et familiales, 131-132, 97-108. - DIENER E., TAY L., INGLEHART R. (2012), « Theory and validity of life satisfaction scales », Social Indicators Research, Advance online publication, doi:10.1007/s11205-012-0076-y.
 - SEN, A. K. (1999), Development as freedom, Oxford: Oxford University Press.