Le texte proposé, non sans sacrifier au risque du programmatique et du prospectif, s’efforce de rendre compte des questions, surtout, et de quelques hypothèses, suscitées par une pratique de recherche sociohistorique sur les insignes politiques désignés par le terme de “ décorations ”. En se saisissant, de manière décalée, du prétexte commémoratif du bicentenaire de la création de l’insigne de la Légion d’honneur, il interroge certains des fondements historiques et sociologiques de la non-curiosité savante persistante à l’égard de cette institution, pourtant emblématique, à divers titres, de l’histoire sociale et politique française. Il envisage dans un premier temps, à l’aide des travaux de Maurice Agulhon et de Michel de Certeau, deux types de réponses possibles au problème de cette nonhistoriographie et de son statut mémoriel particulier, à savoir, pour l’essentiel, “ l’archaïsme ” présupposé des pratiques, et la difficulté à les considérer comme un “ passé ”. En s’accordant plutôt avec la seconde hypothèse, deux pistes de problématisation sont ensuite envisagées. La première évoque les relations de l’histoire propre de la Légion d’honneur à son historiographie. Le propos insiste notamment sur l’éclipse des catégories qui, dans la pensée politique pré-révolutionnaire, permettaient une compréhension des décorations qui ne soit réduite ni à la psychologie individuelle ou collective, ni au clientélisme et à l’instrumentalisation de l’allégeance politique. De manière convergente, la seconde piste de problématisation envisage les relations entre certains présupposés de la sociologie, perceptibles notamment dans l’approche du rôle des récompenses dans le champs scientifique, et la manière dont les sciences sociales pourraient se saisir des pratiques de récompense du mérite. Le propos souligne plus particulièrement la convergence souterraine, en partie implicite, mais ouvrant d’intéressantes perspectives de recherche, des travaux de Pierre Bourdieu avec les catégories de la pensée politique prérévolutionnaire sur les décorations.