Non seulement Sénèque est une pierre de touche dans l’ « infâme querelle » qui opposa Diderot et Rousseau, mais il figure un crible et une aune par lesquels l’un et l’autre jugent leur œuvre et leur vie : l’un, pour en défendre le bilan, l’autre, de manière paradoxale, pour l’accuser. L’article met en valeur deux points de rencontres entre les frères ennemis au carrefour Sénèque. Le premier touche au rapport de l’écrivain à son public : la défiance à l’égard du public et la critique de l’opinion qui rapprochent le jeune Rousseau du jeune Diderot, le vieux Rousseau du vieux Diderot, impliquent l’impuissance relative du philosophe en matière politique et partant, les limites de l’idéologie des Lumières. En matière éthique, deuxièmement, si Sénèque représente pour Diderot la difficulté d’un engagement politique sans compromission morale, chez Rousseau également il signale l’impuissance de l’écrivain à servir le peuple sans se salir les mains. Le faut-il faire ? C’est en quoi les conclusions des deux philosophes diffèrent.