Le cerf sexuel, sublime et combattant de Quignard ; l’homme-cerf castré et dépecé d’Ovide ; le cerf père et prophète au cœur du carnage chez Flaubert ; le cerf couché, tranquille et indulgent, de Giono ; le cerf caché qui refait ses bois d’os et de chair chez Hunzinger sont quelques figures d’un animal pris dans les représentations que nous construisons, depuis le néolithique, la profondeur de la forêt, la nuit stellaire de nos inconscients ou le midi cru de la vengeance. Dans leur immense variété, toutes ont pourtant en commun un élément : la métamorphose. Les grands cycles du rut ou de la repousse des bois incarnent le travail cosmique du renouvellement et activent, dans nos âmes domestiquées, les puissances oubliées de la transformation. Sauvage de multiples façons est le cerf qui bondit de livre en livre ou se remise dans les interlignes de nos textes : savage – indomesticable, échappant à l’humain – et salvage – salvateur ou à sauver. Dans un jadis mythique, dans un non-temps psychique, le cerf se confond avec la forêt qui hante l’ensemble des textes retenus : le français rappelle cette alliance immémoriale du bois et des bois, des ramures des arbres et des ramures des bêtes qui glissent, furtives et invisibles, dans ce lieu qui fut pour les hommes, dans l’Occident chrétien, le lieu de tous les dangers.