Les architectes effectuent d’incessants aller-retour entre le monde réel et le monde imaginé sur le papier ou l’écran. La conception architecturale exige en effet la mise en place de passages entre la matérialité du monde construit et l’immatérialité du monde des idées projetées. Ces passages donnent parfois lieu à de véritables fictions, appuyées par des récits architecturaux qui proposent des mondes possibles. Certaines de ces alternatives au monde réel ont une visée idéaliste et poétique, d’autres se situent dans une critique architecturale, politique et sociale du monde actuel, d’autres encore ont une fonction problématique vis-à-vis du monde à venir. Nous proposons d’explorer trois édifications de mondes possibles réalisées par des architectes et des étudiants en architecture : La première édification cache sa dimension fictionnelle en arrière-plan d’un récit qui se prétend véridique. Il s’agit du discours prononcé par Le Corbusier lors de l’inauguration du couvent de la Tourette et qui décrit son processus de conception. La confrontation entre la crédibilité du récit et les archives du projet met en évidence la nature fabuleuse de la narration de l’architecte et sa dimension contrefactuelle. Ce monde possible qui ne se dit pas renvoie à la fois au passé et aux mondes possibles des mythes cosmogoniques. La seconde édification projette vers un avenir possiblement cataclysmique. À partir d’un récit prophétique qui prédit l’effondrement du monde actuel, l’architecte Claude Parent élabore un monde alternatif dans lequel les architectures, les modes de vies et les humains sont radicalement autres. Il imagine et décrit des « villes transitoires » pour accueillir des humains en perpétuel déplacement. Si la prophétie crédibilise ce nouveau monde possible en rattachant son origine à notre monde réel, elle établit en même temps une rupture vis-à-vis de la réalité telle que nous la connaissons. La dernière édification confronte deux modes de vie possibles pour imaginer la ville et l’espace public de demain. Dans le cadre du travail de fin d’étude « La ville potentiel(le) », Sarah Rener et Aurélie Gonthier utilisent la fiction comme potentialité de projet et de recherche. Elles élaborent des scénarios en exacerbant des données prospectives existantes (théories urbaines, innovations technologiques en devenir, évolutions sociologiques…) et inventent deux personnages opposés : les citadins « hyper-virtuel » et « hyper-tangible ». Ces deux alternatives constituent des hypothèses que le projet permet de tester et de confronter. La radicalité manifeste de ces mondes possibles renvoie les citoyens d’aujourd’hui à leurs choix et à leur responsabilité.