Le numéro 2017 de la revue Le sujet dans la cité était consacré au lire. Celui de 2018 prête attention au dire, aux interdits de dire, aux effets associés à l’expression du vécu et des différentes formes de récit. Entre réception et expression, l’éthique narrative est traversée par la question de la vérité. En effet, ce qui se trouve manifesté par la composition du récit de soi, c’est le rapport entretenu par le sujet avec les événements biographiques dont il a fait l’épreuve. Ce projet de numéro a vu le jour lors de discussions d’abord informelles, occasionnées par le colloque intitulé « Vitalités des approches biographiques » qui s’est déroulé à l’université de Basse-Silésie à Wroclaw, en Pologne, en mai 2018. Parmi les facteurs de vitalité mis au jour lors du colloque, les recherches contemporaines sur la narration, ses effets sur ce que Foucault nomme l’éthopoïèse ‒ soit les modes d’existence du sujet ‒ méritaient un examen particulier. Plusieurs raisons à cela : la première, peut-être, tient dans les enjeux relatifs à la caractérisation des effets du récit de soi qui, malgré la richesse des publications qui leurs sont consacrées, restent peu explorés d’un point de vue herméneutique et expérientielle. Ainsi, et c’est l’un des objets de ce numéro, des perspectives sont à initier de nouveau, voire à inventer, d’ordre épistémologique et méthodologique, pour appréhender de manière temporelle, descriptive et qualitative ce qui se produit en terme de formation lorsque l’expérience vient au langage, lorsque le récit advient à la communauté. Les enjeux sont également d’ordre éthique et politique. À l’ère de la société biographique, l’éthique de la parole est en effet mise en cause selon des formes renouvelées, du fait notamment des processus contemporains d’injonction à se dire et à se raconter. Entre le « tout dire » et le « dire vrai », un écart subsiste, essentiel, pour penser l’éthique du récit. En effet, l’expression de la vérité suppose un travail qui, pour le sujet, le transforme. Ce que Foucault nomme le soi gnoséologique procède d’une dynamique de compréhension qui suppose l’accès à ce qui est tenu subjectivement pour vrai du point de vue du sujet. Ainsi, les incitations contemporaines au « tout dire », loin d’accompagner le travail rugueux de mise au jour des régimes de vérité qui, pour le sujet, les collectifs, le monde social, constituent le socle nécessaire à l’édification du commun, apparaissent de nature, au contraire, à verser dans les discours dits « en troisième personne », qui sont sans référence incarnée et sans sujet pour les asserter. Ces éléments sont appréhendés, interrogés, examinés dans le numéro, à partir de différents contextes : santé, migration, dynamiques institutionnelles. Différentes perspectives méthodologiques sont également sollicitées, qui conjuguent notamment des modalités d’entretien en accompagnement et recherche qui relèvent de la phénoménologie, de l’herméneutique et du biographique. Ce numéro est aussi l’occasion d’annoncer la parution prochaine du Vocabulaire de recherche biographique en éducation, coordonné par Christine Delory-Momberger : quatre-vingt-neuf auteurs, cent cinquante entrées, plus de six cent pages. Il faut y voir le signe de la maturité des courants de la recherche biographique qui, dans les domaines de la formation et des sciences humaines et sociales, génèrent des effets et construisent des savoirs, dans le cadre d’un dialogue fécond avec les autres disciplines.