Comment pallier les silences et reconstituer les lacunes du tissu historique? Comment restaurer la dimension sensible d'un vécu qui s'est à jamais éloigné des lecteurs? La tentation est grande de recourir à l'imagination comme "combleuse" (S. Weil): le roman naîtrait de ce manque et se nourrirait de conjectures, déployant dans les interstices des divers savoirs le récit de ce qui a peut-être été. Patrick Boucheron, dans son Léonard de Vinci et Machiavel, et Patrick Modiano, dans Dora Bruder en particulier, mènent l'enquête. Le recours à l'imagination s'appuie sur l'archive pour élaborer des fictions à partir de ce qui reste du réel. Cependant, ces types de narration refusent tout à la fois de se constituer en discours de vérité et de "fictionner": ils choisissent plutôt de dire leurs incertitudes et enregistrent les errances et les interrogations qui demeurent. Le roman part sur les traces des personnages à partir de documents, qui servent non seulement de "preuves" mais aussi de signes sensibles chargés d'en "littérariser" le texte.