Parmi les artifices théâtraux qui laissent une trace presque nulle dans le texte écrit pour se déployer dans tout son apparat pendant la représentation théâtrale, le grommelot occupe la place d’honneur. Langage théâtral confus au niveau vocal, lié à l’improvisation, le grommelot n’est pas fait de mots, ne comporte donc pas de lexique, ni de syntaxe. A travers un procédé mimétique complexe, il sélectionne les phonèmes d’une vraie langue pour les combiner dans des séquences vocales qui ne répondent pas aux règles ordinaires de la formation de mots. Cela produit un tissu vocal continu, interrompu de temps en temps par des mots clé reconnaissables, qui servent à donner un sens à l’élocution. La couche vocale est doublée par la signification faible fournie par la communication gestuelle et mimique. L’éloquence réduite du niveau suprasegmental de la langue, les courbes mélodiques et les intonations, permettent aussi au grommelot de produire des énoncés pas très complexes. Tous les moyens linguistiques cités, mis en œuvre par le jeu du comédien, ne constituent que des indices pour le spectateur. Pendant la représentation, celui-ci est invité à les élaborer et à les intégrer dans un ensemble cohérent, pour participer activement au processus de communication engagé par le grommelot. Ce langage théâtral est utilisé dans quelques passages drôles de comédies depuis toujours. On en retrouve des traces écrites dans l’œuvre de Plaute, de la Commedia dell’Arte, de Molière, de Rotrou, dans le travail de Jacques Copeau et de l’école du Vieux Colombier, où cette technique a reçu le nom qu’elle porte actuellement, et surtout dans l’œuvre de Dario Fo, prix Nobel de Littérature en 1997, qui en a fait l’artifice comique par excellence de son chef d’œuvre, Mistero buffo.