Au Québec, il y a trente ans, la garde physique partagée (1) faisait figure de pratique contre-culturelle. Elle s'est depuis transformée en modèle : selon un sondage de 2013, 82 % des Québécois estimaient que les enfants âgés de 6 à 12 ans devraient vivre en garde partagée suite à une rupture conjugale (2) alors que 23,2 % des enfants de parents séparés vivaient effectivement en garde physique partagée (Desrosiers et Simard, 2010) (3). Les tribunaux québécois ont octroyé environ 21 % de gardes partagées en 2008 et 2009 (Québec, 2011 b). Ceci est sans compter les nombreuses ententes hors Cour entre les parents séparés qui représentaient déjà, il y a dix ans, 63,1 % des ententes de garde (Cyr et al., 2011; Juby et al., 2005 ; Canada, 1999) (4). La préférence des tribunaux pour la garde partagée n'a pas fait l'objet, au Québec, d'un débat public ou de dispositions législatives comme ce fut le cas en France ou en Belgique (Côté et Gaborean, 2015). Cette modification de la politique familiale n'a pas été générée par le législateur (top down) et n'est pas survenue à la suite d'un débat public (bottom up), la rue ne s'étant pas mobilisée en faveur d'une telle mutation des normes. La garde physique partagée a plutôt reçu ses lettres de noblesse grâce à la convergence des pratiques parentales auxquelles se sont greffées certaines modifications administratives, judiciaires et professionnelles. De nouvelles normes postulant une égalité conçue en termes de présence symétrique de l'enfant auprès de chaque parent ont ainsi été consacrées. De même, l'élaboration d'un « nouvel ordre parental » hétérosexuel mettant l'accent sur la coparentalité et le maintien des rapports parents-enfants dans des situations de rupture familiale institue de nouvelles formes de régulation dans le champ des relations familiales. De nouveaux dispositifs d'intervention ont donc été mis en place pour soutenir l'exercice de la parentalité. Les intervenants du champ psychosocial ont incorporé ces nouvelles normes relatives à la parentalité et en ont fait leur promotion (Bastard, 2006). Le modèle du « bon divorce » et des normes exigeantes et uniformes relatives à la parentalité ont également été introduites en matière de régulation familiale (ibid., p. 16). S'appuyant sur cette thèse, cet article s'intéresse aux évolutions opérées dans l'exercice des rôles parentaux après une rupture conjugale, en l'occurrence, aux modalités de mise en oeuvre de la garde parentale, adoptées par les parents eux-mêmes ou promues par les instances institutionnelles qui participent à la prise en charge des enfants. La mise en place d'une préférence implicite pour la garde physique partagée au Québec consolide ainsi un modèle de garde parentale post-divorce selon des balises particulières relatives à l'intérêt de l'enfant. Ceci a été favorisé par des interventions opérées dans les champs juridique, administratif et psychosocial, guidées par une représentation de la garde physique partagée comme véhicule idéal de l'égalité. À cet effet, elles agiraient désormais, selon Benoît Bastard (2006), en tant que « police de la parentalité ». En même temps, ce modèle « idéal » de garde parentale post séparation est lui-même Revue des politiques sociales et familiales n°128-3 e trimestre 2018 35 Politique familiale Mots clés • Québec • Garde physique partagée • Politique familiale • Garde parentale • Séparation (1) Pour des raisons de concordance culturelle et juridique, le choix a été de conserver l'expression « garde physique partagée » qui désigne, au Québec, le phénomène connu, en France, sous le vocable « résidence alternée ». L'expression « garde physique partagée » est définie au Canada et au Québec comme étant une entente selon les termes de laquelle les enfants passent au moins 40 % de leur temps à la résidence de chaque parent (Côté et Gaborean, 2015). (2) Le sondage rapporté par ces auteurs a été réalisé par Léger Marketing du 26 février au 11 mars 2013 auprès d'un échantillon de mille deux cent deux Québécois âgés de 18 ans et plus. (3) Ce pourcentage varie selon l'âge de l'enfant et la période considérée. Il y aurait eu une augmentation progressive des gardes physiques partagées entre 1998 et 2002 pour les enfants de 4 ans (passant de 0 % à 44,4 %), une diminution entre 2002 et 2004 pour les enfants entre 4 et 6 ans (passant de 44,4 % à 21,1 %) et une augmentation pour les parents séparés depuis 2006 dont les enfants ont 8 ans et plus (33,6 %) (Cyr et al., 2011, p. 28). Les ententes de garde partagée sont donc souples et se transforment au fil du temps. (4) Seuls les cas de garde parentale ayant fait l'objet d'une ordonnance du tribunal sont recensés par Statistique Canada. Ils sont moins nombreux au Québec que les cas issus d'ententes à l'amiable entre parents, ceux-ci échappant, en fait, à l'oeil du statisticien. Certains parents font entériner leur entente à l'amiable par un tribunal, mais ce sont plutôt les cas litigieux de garde parentale qui s'y retrouvent, ceux-ci représentant 10 % de l'ensemble des cas. Selon Francine Cyr et al. (2011, p. 30), la garde physique partagée serait retenue par les parents dans 34,3 % des cas lorsqu'il s'agit d'une décision négociée entre eux.