Le processus inexorable d’épuisement des mesures d’ordre intérieur en prison au nom du respect des droits fondamentaux, initié par l’arrêt Marie du Conseil d’État en 1995, amène à s’interroger : quelle était la justification profonde de la jurisprudence traditionnelle à laquelle cet arrêt à mis fin ? La lecture des arrêts du juge administratif en la matière n’est, étant donné leur laconisme, d’aucune aide pour répondre à cette question; et celle de la doctrine de droit public n'est pas beaucoup plus fructueuse. Il est plus utile de se pencher sur les textes divers (rapports, circulaires, règlements) qui ont accompagné la création de la prison moderne en France, principalement sous la Restauration et la monarchie de Juillet. On découvre alors l’idée directrice qui a animé l’institution carcérale pendant un siècle et demi environ, à savoir l’amendement moral du détenu. Ce n’est qu’à partir du moment où cette raison morale traditionnelle de la prison s’est effondrée dans les années 1970 que la justification profonde de la jurisprudence des mesures d’ordre intérieur s’est elle-même évanouie, justifiant du même coup la pénétration du juge administratif dans les prisons au nom de la garantie des droits fondamentaux. L’épuisement des mesures d’ordre intérieur en prison résulte, autrement dit, de la substitution de l’univers moral des droits fondamentaux à celui du paternalisme carcéral des XIXe-XXe siècles.