La réception des écrivains du XVIIIème siècle pendant la guerre d’Algérie et plus largement dans le mouvement indépendantiste algérien n’a suscité, jusqu’à maintenant, aucune étude ou réflexion même succinte. On pourrait trouver aisément des raisons à ce vide intellectuel. Des raisons qui tiennent à la mémoire même de cette guerre qui est en train de se construire depuis une vingtaine d’années et qui a fait émerger une concurrence mémorielle qui rend parfois difficile la mise en place d’une recherche scientifique rigoureuse bien que des historiens aient accompli un travail extraordinaire sur ce conflit, le dernier où des civils français ont été engagés. Cette étude s’impose d’autant plus aujourd’hui que l’on vient de commémorer le cinquantième anniversaire des accords d’Evian, le tricentenaire de la naissance de Rousseau et qu’on célèbre en 2013 le tricentenaire de la naissance de Diderot. La difficulté de confronter les textes des Lumières au mouvement indépendantiste algérien prend ses racines dans l’histoire même de la colonisation et de la conquête de l’Algérie où s’affrontent deux civilisations, deux cultures, deux religions. L’Algérie a été la seule colonie de peuplement rattachée à la métropole avec le découpage du territoire en trois départements, Alger, Oran et Constantine. Ce statut colonial exceptionnel est déterminant pour l’histoire des deux pays. Comme l’écrit Jacques Berque dans Esprit d’octobre 1960 à propos de l’Algérie : « Aucun parmi les peuples arabes n’avait été plus profondément malaxé, détruit et recréé par l’Occident, et aucun n’a fourni contre l’Occident la lutte qu’assume le peuple algérien ».