Sur quelles connaissances s’appuient des spectateurs pour interpréter des photographies d’auteur ? Dans le cadre d’une observation participante, nous avons montré des photos à des étudiants afin de leur permettre de construire leur propre interprétation des images. Ce projet a été réalisé dans des cours de français langue étrangère à Paris avec des étudiants adultes originaires d’Europe, d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. On s’attache à la réception de photographies d'auteur par des spectateurs non spécialistes en art. L’analyse de ces données met en évidence l’importance de la mémoire visuelle : les participants mettent en relation les photos avec d’autres formes discursives et non discursives. Si l’on postule avec Maurice Halbwachs que la mémoire collective permet de structurer l’identité d’un groupe, alors il est intéressant de noter que des spectateurs venus d’aires géographiques éloignées font appel à des références identiques face à une photo. Les souvenirs littéraires et cinématographiques des spectateurs contribuent à leur interprétation des photographies. On observe dans les paroles des participants des références explicites à des films ou à des œuvres littéraires. La façon dont les spectateurs estiment la localisation et la temporalité des photos est également liée à leurs images mentales, nourries par le cinéma et la littérature. Ainsi, pour interpréter des photographies d’auteur, les spectateurs font appel à leur « bibliothèque intérieure », définie par Bernard Lahire comme un « ensemble de textes que nous avons lus et que nous utilisons à chaque fois que nous voulons construire un objet, argumenter sur une question ou résoudre un problème » (L’esprit sociologique 2007 : 113), ainsi qu’à leur cinémathèque intérieure.