L'histoire des collaborations franco-russes en matière d'ingénierie est aujourd'hui un domaine assez bien exploré. Cependant, même au regard des périodes les mieux étudiées,-et telle est incontestablement la première moitié du XIX e siècle-, il existe encore des épisodes qui, sans être complètement inédits, sont connus de manière si fragmentaire et éclatée qu'ils échappent à l'analyse d'ensemble. L'aventure russe de Claude-Joseph Ferry et Frédéric Le Play est justement une histoire de ce genre que nous nous proposons de restituer. Outre l'intérêt purement factuel, puisqu'il s'agit là de compléter les biographiques des deux ingénieurs français par ailleurs assez bien connus, d'autres motifs nous ont incité à tenter cet examen en parallèle. L'un d'eux est d'ordre historiographique car comprendre pourquoi, de part et d'autre, certains sujets sont restés en marge des études magistrales, aide l'historien à mieux lire les documents disponibles et à décider plus judicieusement des pistes à suivre. De ce point de vue, les cas confrontés de Ferry et de Le Play illustrent parfaitement le rôle que peut jouer l'idéologie dans le choix et l'interprétation des sujets d'étude. Ces exemples mettent également en évidence d'autres difficultés qui obstruent la progression de la recherche, et telles sont, outre l'insuffisance et la disparité des sources, la langue des documents, leur éparpillement géographique et les problèmes d'accès. Enfin, l'étude en question s'inscrit dans une problématique plurielle intéressant à la fois les histoires des sciences et des techniques des pays concernés, une histoire des échanges interculturels commune à la Russie et à la France mais aussi celle, beaucoup plus envahissante, de la circulation des idées et du rôle médiateur que joue dans ce processus la mobilité des hommes de sciences. Revisitée dans ce contexte, la problématique du « centre et périphérie » y trouve également son compte dans la mesure où les exemples analysés fournissent une matière originale pour approfondir cette réflexion.