Quand Écologie & Politique m'a fait l'honneur de me solliciter pour proposer aux lecteurs une perspective de l'évolution de la pensée de l'écologie politique depuis le siècle dernier - c'est-à-dire depuis la fin du 20ème siècle - j'ai d'abord été enthousiasmé, puis j'avoue avoir beaucoup reculé avant m'engager concrètement dans la rédaction, tant l'ampleur de la tâche est effrayante, pour diverses raisons, parmi lesquelles l'accroissement vertigineux de la littérature disponible. Le temps est loin où l'on pouvait aller dans une grande bibliothèque pour trouver son corpus presqu'entièrement constitué, au rayon désigné à cet effet. Rappelons-nous en effet que l'internet ne comptait que quelques dizaines de sites web, au moment où se tenait le premier Sommet de la Terre, en 1992 à Rio de Janeiro. Aujourd'hui les livres, revues et articles se déversent par millions par le canal numérique. C'est là un premier changement de grande ampleur, par rapport aux années 1980. Mais même sans cela, les travaux sur la pensée écologique se caractérisent par une dispersion élevée. Le regard sera donc nécessairement partiel et partial, tant il est difficile d'embrasser une telle immensité. La dimension subjective de cet exercice m'a conduit à préférer la première personne du singulier. Si le regard du philosophe est convoqué, toutefois, gageons que c'est moins par souci d'exhaustivité dans la compilation des faits que par la volonté d'en saisir la dynamique générale. Puisque 1992 est un symbole pour de nombreux écologistes, date du seul sommet mondial sur l'écologie ayant été un succès, prenons l'Histoire de l'écologie de Jean-Paul Deléage publiée la même année comme repère dans le domaine de la pensée ; appuyons-nous également sur l'ensemble de la collection de la revue Écologie (&) Politique dont la publication commence également à cette date. Et si l'information se déverse désormais à gros flots, force est de constater que les contenus n'évoluent que très lentement. La planète se réchauffe, la biodiversité disparaît, qu'elle soit domestique ou sauvage, la société de consommation bat son plein et les analyses produites par les Charbonneau, Ellul, Gorz ou encore Baudrillard dans les années 1950 à 1970 conservent une très grande actualité. Des milliards de personnes sont en train de basculer dans l'ère productiviste, que ce soit en Chine, en Inde ou au Brésil. De nouveaux mots sont apparus, faisant événement, tels l'Anthropocène, la transition écologique ou la décroissance, mais ce qu'ils désignent a déjà été nommé dans le passé ; plus généralement la question de la taille est une constante dans la pensée écologiste.