Les décisions publiques en matière de santé sont souvent présentées comme prises en fonction d’une connaissance des « besoins de santé de la population ». Or, de nombreux agents de l’Etat ou experts proches de l’administration ont souligné, de manière répétée et convergente, qu’il est très difficile d’identifier et de quantifier les besoins de santé de la population et les moyens à mettre en œuvre pour les satisfaire. Mais ils ne cessent pas pour autant de s’y référer. Comment rendre compte de cette ambivalence ? Comment expliquer les usages administratifs et politiques d’une notion apparemment si problématique ? Pour répondre à ces questions, cet article s’intéresse aux interventions de l’Etat français en matière de démographie médicale. Il expose tout d’abord en quoi la prise en compte des besoins de santé de la population constitue, aux yeux des agents de l’Etat, un impératif problématique. Il étudie ensuite comment ceux-ci résolvent en pratique les difficultés posées par l’identification et la quantification des besoins de santé de la population et leur conversion en besoins en médecins. Enfin, il examine pourquoi les gouvernants continuent à se référer à une notion aussi incertaine. Deux raisons les y incitent : sa plasticité d’une part, et le développement foisonnant des statistiques sanitaires de l’autre.