Nourrie des romans courtois et de la culture arabe, la médecine médiévale s’est érigée, selon les termes de Danielle Jacquart et de Claude Thomasset dans Sexualité et savoir médical au Moyen Age, en véritable « art érotique ». De fait, la lecture du Canon d’Avicenne dans les universités renforce l’idée hippocratique selon laquelle le plaisir (et particulièrement le plaisir féminin) est indispensable à la procréation. Pour qu’il y ait conception, il faut une delectatio mutuelle : c’est grâce à elle qu’hommes et femmes émettent leur semence. Cette évolution de la pensée médicale donne lieu à des développements dans les traités, qui évoquent un plaisir devenu parfaitement légitime au sein du couple conjugal, et ce d’autant plus lorsqu’il intervient dans une optique de guérison de la stérilité. En affirmant la nécessité du plaisir dans la procréation, les médecins revalorisent un aspect de la sexualité bien souvent décrié par la religion. S’appuyer sur le Canon d’Avicenne permet ainsi de contourner l’interdit, et autorise un discours médical sur l’amour charnel. Cet article se propose d’explorer ces pistes de réflexion, à travers les œuvres de trois médecins issus de l’université de Padoue : Antonio Guaineri (ca.1385-1458), Bartolomeo Montagnana (1385-1460) et Michel Savonarole (1385-1468). Leurs approches respectives permettront de mettre en lumière les ambivalences d’un discours qui oscille entre transgressions et interdits.