La Baie James est un territoire subarctique du Québec sujet à différents types d’investissements dans l’environnement. Ceux-ci ont longtemps été synonymes d’une dualité idéologique, sur le rapport entre l’homme et son milieu, dépendante de constructions sociales et symboliques distinctes. Une analyse spatio-temporelle permet de comprendre l’évolution sociale et politique du capital environnemental et des représentations qui en découlent dans cette région. Durant la seconde moitié du XXe siècle, deux types de constructions sociales du milieu sont en oeuvre au sein de la Baie James : - celle du gouvernement québécois, qui voit l’environnement dans un rapport de domination, et qui a pour objectif de contrôler cette nature afin d’en exploiter les richesses. - celle des Cris – population autochtone de la Baie James (ou traditionnellement appelée Eeyou Istchee) –, qui considère que l’homme et son milieu sont indissociables. C’est donc une dichotomie entre deux systèmes de valeurs qui a lieu à la Baie James. Cela s’est traduit par un véritable conflit idéologique lors de la mise en place du gigantesque projet hydroélectrique lancé par Québec en 1971. Cette communication s’intéressera à la dimension discursive autour de la mise en valeur des ressources de la Baie James, faisant de cet espace le coeur de la construction identitaire d’un Québec autonome des années 1970. Pour la province, il s’agissait de transformer un espace perçu comme étant isolé, lointain et hostile en un territoire désenclavé, riche et – surtout – à mettre en valeur. A contrario, les leaders cris se sont imposés comme fervents opposants à l’exploitation anarchique des ressources naturelles, mettant en avant l’aspect nuisible de ce développement pour l’environnement et le mode de vie des Autochtones. Une fois de plus, les représentations furent mobilisées, dans le but de sensibiliser le grand public, présentant l’image romantique de l’autochtonie et du « bon sauvage ». Mais cette dualité va perdre en clarté et les représentations provenant des valeurs antagonistes vont graduellement se mélanger entre intellects occidental et traditionnel (en l’occurrence autochtone). Cela peut notamment s’expliquer par l’émergence de nouvelles problématiques au sein de la société crie. Par exemple, les questions de l’emploi, du développement d’infrastructures et de services vont devenir primordiales pour la sérénité des communautés cries ; or, le développement du territoire va s’avérer être une solution efficace pour répondre à cette nouvelle demande sociale. Malgré ce changement sociétal, les Cris vont préserver l’image des Autochtones porte-parole du milieu et défenseur de la Terre mère. De surcroît, c’est en référence à cette vision de l’autochtonie environnementaliste qu’ils vont légitimer leur nouvelle pratique territoriale en promouvant une gestion plus respectueuse de l’environnement (modalités d’exploitation, création d’aires protégées, etc.). Aujourd’hui, les Cris sont devenus des acteurs territoriaux centraux à la Baie James. Ils ne sont plus foncièrement hostiles au développement, mais pour l’implication des communautés dans le processus de décision de celui-ci. Ainsi, la porosité des constructions sociales, au départ contradictoires, crée un capital environnemental hybride mêlant représentations et valeurs environnementales occidentales comme autochtones. Le capital environnemental constitue un ensemble de pratiques, de valeurs et de représentations de l’environnement qui varient selon les acteurs. Une analyse spatio-temporelle de celui-ci au sein de la Baie James permet de comprendre son évolution et les conflits qui en résultent. Ce territoire – dont l’arène politique et sociale a subi un renversement de la relation de pouvoir entre développeurs et Autochtones – semble être pertinent pour une contribution à la grille d’analyse « capital environnemental ».