Le chuchotement est un mode de phonation naturellement utilisé dans le but de réduire la perceptibilité de la parole, en substituant la source périodique de la voix modale par une source bruitée. La voix chuchotée induit des changements spectraux, temporels, aérodynamiques ou articulatoires. En ce qui concerne la perception, l'information segmentale, comme suprasegmentale, est généralement bien préservée : identité de la voyelle, lieu et mode d’articulation, intonation, accent et ton, ainsi que le contraste de voisement, objet d’étude de ce travail. Cette étude concerne le contraste phonologique de voisement en parole chuchotée en français. Elle se focalise sur deux indices essentiels à la production et/ou la perception de ce contraste : la configuration glottique et les durées segmentales. En parole modale, les configurations glottiques ouverte vs fermée distinguent les consonnes sourdes des voisées. La durée des voyelles pré-consonantiques et des obstruantes est également largement reportée comme une marque importante pour ce contraste. Le lien entre ces deux propriétés (configuration et durée) est communément interprété via une contrainte physiologique liée à la vibration des cordes vocales (Aerodynamic Voicing Constraint) conditionnant des durées segmentales différentes selon le voisement. Une première expérience porte sur l’absence d’une Aerodynamic Voicing Constraint en voix chuchotée, attendue qu’elle ne doive pas s’exercer du fait de l’absence de vibration des cordes dans ce mode phonation. Or, nos résultats montrent qu’une différence significative de pression intraorale distingue significativement les consonnes sourdes /p f/ des voisées /b v/, proche mais non similaire à celle observée en parole modale. Ce résultat est discuté au regard des résultats équivoques de la littérature concernant la configuration glottique en voix chuchotée. Une seconde expérience évalue la possibilité en français d’un marquage phonétique et d’un traitement perceptif du contraste de voisement par la durée des voyelles pré-consonantiques et des obstruantes /b p/, /t d/, /k g/, /f v/, /s z/ et /ʃ ʒ/. Le test de production confirme que, même en l’absence de vibrations vocales, les différences de durées associées au voisement phonologique des obstruantes observées en parole modale sont également conservées en phonation chuchotée : les consonnes voisées sont acoustiquement plus courtes que les sourdes et les voyelles plus longues devant une consonne voisées qu’une sourde. Par contre, le test de perception, où les durées vocaliques et/ou consonantiques ont été manipulées, montre que (i) que le taux de reconnaissance des consonnes est dramatiquement bas pour les consonnes sourdes chuchotées, (ii) les durées segmentales n’ont un impact sur la reconnaissance du trait voisé qu’en voix chuchotée et non en voix modale, (iii) que les durées consonantiques ont plus d’effet que les durées vocaliques. Ces résultats préliminaires, mais originaux concernant la voix chuchotée, sont discutés au regard des travaux effectués dans ce domaine sur la parole normale, synthétique et dégradée. En perspective, cette recherche ouvre de manière plus générale sur la question plus théorique du conditionnement physiologique et/ou linguistique des traits secondaires du voisement.