Faire l’histoire d’une pratique (avec ou sans référence au programme pragmatiste en philosophie et sciences humaines) implique la manipulation de traces d’activités, de techniques, de gestes, tous plus ou moins codifiés et reproductibles, dont certains aspects peuvent également être observés dans les pratiques contemporaines qui en ont dérivé. Se livrer à la réactivation (re-enactment) d'une pratique est une voie légitime pour en interroger l'historicité aussi bien que les contraintes physico-techniques d'accomplissement. Plus généralement, toute démarche historienne s'inscrivant dans la mouvance pragmatisme ne devrait-elle pas construire une relation étroite entre l’archive et le répertoire d’expériences pratiques, actuelles ou actualisables, qui lui est associé ? C'est pour éclaircir les implications d’un tel passage à/par la pratique que nous nous livrons dans cet article à un exercice d'épistémologie historique du re-enactment, parcourant un certain nombre de réalisations très diverses par leurs objets, leurs attendus et leurs méthodes — de l’archéologie expérimentale à la performance artistique en passant par la résurrection des chorégraphies de Nijinsky par des historiens de la danse. Nous discutons ensuite des résultats de nos propres programmes de recherche portant, respectivement, sur les pratiques de composition contemporaines et sur l’exécution de la musique du XVIIIe au XXe siècles, et qui, malgré leurs différences d’objet et de méthodologie, partagent l’ambition de rendre compte, au moyen de procédures de réactivation, des pratiques musicales en tant qu’actions situées.