Il n’y a qu’à consulter les sites internet des vignerons et de leurs syndicats pour constater l’importance accordée à la tradition, à l’histoire du vignoble, à cette « longue histoire de famille » revendiqués, mis en avant. La restauration des loges de vignes relève du même processus. Le paysage viticole aussi est patrimonialisé. La démarche est commerciale ; il s’agit d’ancrer le vignoble dans l’histoire, en vue de séduire le consommateur. La tradition est en effet devenue gage de qualité. Mais à quelle réalité renvoie-t-elle ? Elle suppose une continuité des pratiques donc des paysages que ces dernières façonnent. Y a-t-il adéquation entre les paysages passés et les actuels ? La présente contribution se fonde sur l’exemple de l’AOC Bourgueil. L’étude, financée par la Zone Atelier Loire (réseau CNRS), a visé à retracer les dynamiques de l’occupation des sols, entre 1962 et 2011, à partir d’une carte de l’IGN et de photographies aériennes. Pour interroger les paysages, ces sources ont été complétées par des observations in situ, des témoignages (vignerons, syndicat des vins), des photographies, des données démographiques et la consultation de sites internet d’acteurs locaux (vignerons, municipalités…). Jusqu’en 1950, sur un territoire marqué par la polyculture, la vigne n’est qu’une culture parmi d’autres (Caslot, 2011). Entre 1962 et 2011, elle progresse, se transforme aussi, avec l’enherbement, la disparition des arbres fruitiers souvent complantés. Vitis vinifera occupe des parcelles plus nombreuses mais s’ajoute aussi les évocations indirectes, figurées de ce végétal. Ce sont les panneaux et aménagements routiers, les loges de vigne aussi, qui rappellent indirectement la vigne. Cette dernière devient ainsi omniprésente spatialement, bien plus que par le passé. Si la viticulture a progressé spatialement, dans le même temps pourtant, elle a régressé socialement, du moins s’est-elle transformée. Le poids des viticulteurs a reculé. Les pratiques ont évolué et ont fait évoluer les rapports sociaux liés. L’une des évolutions notables concerne les vendanges. Ce temps fort de la viticulture était associé à une ambiance festive, qui a disparu avec la mécanisation. Désormais, des « vendanges à l’ancienne » sont organisées dans un autre cadre, relevant de la mise en scène, au profit de l’oenotourisme. De nouveaux rapports sociaux émergent ainsi autour de la vigne, avec la volonté de séduire, le consommateur, le touriste aussi. Ces rapports concourent à l’image de la viticulture, aux représentations associées à la vigne. Ils relèvent des services écosystémiques culturels rendus par ces agrosystèmes viticoles qui ont donc évolué avec les paysages. De nouveaux services apparaissent, associés à des objectifs économiques, au profit des viticulteurs (vente), avec des retombées pour l’ensemble du territoire (Lignon-Darmaillac, 2009), d’où l’accaparement de cette composante paysagère par tous les acteurs (vignerons, acteurs du développement ou du tourisme, publics et privés). Ceux-ci proposent alors une lecture paysagère orientée, où la vigne prend une place centrale et devient symbole de l’identité territoriale. Caslot, L. (2011), L’évolution du vignoble Bourgueillois entre 1850 et 1950 : permanences et mutations, Mémoire de Master 2, IEHCA, Université de Tours. Lignon-Darmaillac, S. (2009), L’oenotourisme en France. Nouvelle valorisation des vignobles (Analyse et bilan), Féret, Bordeaux, 250 p.