Dans les années 1540, les polémistes de la « querelle des femmes » s’affrontent autour de la question du mariage. En France, le sacrement est alors remis en question par de nombreux auteurs de traités, de pamphlets ou de canards sanglants. Parmi les nombreux arguments développés, celui du « mari battu » connaît, à la suite de l’impression du Tiers Livre (1546), un grand succès. En effet, la recrudescence des violences conjugales, qui nourrit la presse de fait divers, préoccupe aussi les satiristes. Toutefois si les épouses uxoricides sont sévèrement condamnées, la plupart des cas de maris battus échappent à la justice criminelle. Car ce renversement de l’autorité dans le foyer se solde par des punitions rituelles qui relèvent d’une forme d’infrajustice. Mais cette régulation des mœurs exercée par la communauté en marge des institutions officielles ne s’attaque pas à l’épouse criminelle : bien au contraire, c’est le mari dominé qui subit le châtiment infamant. Puisqu’il exerce la tutelle légale sur son épouse, il est aussi responsable des actes de cette dernière. Natalie Zemon Davis, en 1989, a évoqué le cas des chevauchées sur l’âne lyonnaises lors desquelles le conjoint humilié, revêtu de vêtements féminins, est promené à l’envers sur un équidé. Ces « asouades » sont abondamment commentées par les auteurs de la querelle. Ces derniers se plaisent d’ailleurs à relater les origines antiques de ces festivités urbaines proches des charivaris. En vérité, l’étude de nouvelles sources littéraires révèle toute la richesse des sanctions prévues pour rétablir la paix des ménages. Ces discours témoignent d’une véritable crainte « gynécocrate » dont l’origine est peut-être à chercher dans les nouveaux espaces de liberté conquis par les femmes au XVIe siècle. Plus largement, ne faut-il pas voir dans le mythe du « mari battu » une remise en question de la répartition des rôles dans le mariage ? La figure du couple à l’envers donne à voir les conséquences d’une union fondée sur l’intérêt et le profit. Elle est l’un des arguments de la réforme matrimoniale dans les années 1560 et contribue, paradoxalement, à la mise en valeur du mariage « amoureux ».