Care et anthroponomie. Qu’entend-on par care (‘soin direct’) dans la littérature scientifique contemporaine, sinon un service qu’une personne (le carer, le ‘soigneur’) rend dans une interaction en face-à-face à une autre personne (le cared, le ‘soigné’) qui se trouve, temporairement ou de façon chronique, dans une situation objective de dépendance ? Le care y est donc défini par son contenu : celui de l’activité elle-même. Mais à elle seule cette caractéristique très singulière aurait dû attirer l’attention. En sciences sociales il est en effet tout à fait exceptionnel qu’une activité soit pensée à travers son contenu – comme le fait la pensée spontanée – plutôt qu’à travers le type d’organisation, le type de rapports socio-structurels au sein desquels elle s’effectue. Or le care, comme la culture de tomates, la couture, la cuisine et bien d’autres activités, peut s’effectuer aussi bien dans le cadre familial-domestique que dans celui d’un rapport marchand simple (babysitter, aide à domicile…), celui d’une entreprise privée tendue vers le profit (maison de retraite haut-de-gamme), celui d’une entreprise publique (crèche publique, asile, maison de retraite de statut public), ou encore celui d’une association sans but lucratif ; voire celui de relations d’échanges de services non-marchandisés entre voisin(e)s ou amies. L’analogie avec la cuisine, la couture, ou la culture de tomates (respectivement un service, une activité de production artisanale ou industrielle, une activité agricole) vise à rappeler la généralité du principe analytique selon lequel ce n’est pas le contenu en soi d’une activité donnée, mais le cadre de rapports socio-structurels au sein duquel elle est effectuée qui définit à la fois les positions respectives des agents / acteurs qui y sont impliqués, la répartition des tâches et des responsabilités entre eux, leurs motivations respectives et les significations qu’ils confèrent à leur activité, leurs modes de rétribution, bref l’économie à la fois matérielle et morale de l’ensemble.