A la fin des années vingt, sous l'impulsion des débats nés autour d'Aristide Briand et de la Paneurope théorisée par le comte Coudenhove-Kalergi, le fascisme italien tente de développer un universalisme romain et un projet européen alternatif généralement désigné sous le terme d''"Anti-Europe" (du nom de la revue batailleuse dirigée par Asvero Gravelli). Cette recherche de conciliation entre l'ici d'un Etat-nation fort et l'ailleurs cosmopolite et transnational se décline sous des formes originales et notre étude revient sur deux figures isolées de la scène intellectuelle italienne qui ont tenté de penser l'Europe contre ou par-delà le fascisme. Alors que Benedetto Croce réagit au projet anti-européen soutenu par Mussolini par une apologie libérale de l'Europe cosmopolite des Lumières (un cas unique dans l'Italie de l'entre-deux-guerres), Julius Evola part du projet paneuropéen de Kalergi pour en critiquer point par point les fondements et proposer un universalisme impérial antimoderne construit autour du pivot Rome-Berlin ; et cela, bien longtemps avant le rapprochement doctrinal et géopolitique officiel entre les deux dictatures. L'article examine en particulier des articles rares d'Evola et deux versions - italienne (1928) et allemande (1933) - de l'essai "Impéralisme païen", dont les contenus diffèrent précisément par les remaniements et les ajouts consacrés à la Paneurope.