La description et l'analyse des changements historiques dans les systèmes fluviaux anthropisés ont mobilisé de nom-breux chercheurs. Une tendance générale à l'incision des rivières a été observée, aboutissant à un rétrécissement du lit depuis 150 ans dans de nombreuses rivières européennes (Liébault et Piégay, 2002 ; Surian et Rinaldi, 2003 ; Wyżga, 2008). Un débat est né de ce constat entre les tenants d'une origine anthropique de ces changements et les tenants d'une origine plus naturelle. L'objectif de cet article est de déter-miner et d'analyser 1) les dynamiques hydrologiques et morphologiques décelables sur le Siret inférieur (Roumanie) du début du XX e siècle à 2010 et 2) quels facteurs peuvent intervenir pour expliquer ces variations. La première partie de l'article présente le site d'étude du Siret inférieur (fig. 1) ainsi que le contexte particulier de l'aménagement des cours d'eau en Roumanie. Le bassin du Siret, le plus grand de Roumanie, est situé à l'est des Car-pates. Avec un débit moyen de 210 m 3 /s à la station de Lungoci, le Siret est l'avant dernier affluent majeur du Danu-GÉOMORPHOLOGIE, RELIEF, PROCESSUS, ENVIRONNEMENT vol. 21 – n° 2 (2015), p. 175-188 Mis en ligne le 10/06/2015 sur Revues.org Abstract This study provides an example of a river affected by water management strategy during the 20th century. This work focuses on the last tributary of the Danube River, the Lower Siret River (130 km length; mean annual discharge: 210 m 3 /s), located east of the Carpathians. The aim of this paper is to determine the morphological changes of the Lower Siret River (Romania) from 1891 to 2010, and to define (i) the cause of morphological adjustments and (ii) the impact of engineering works. The evolution of the Lower Siret River during the 20th century was analysed on the basis of historical sources (text and maps), records of human intervention in the catchment, and climatic and hydrological data. By using statistical and GIS analysis, hydro-morphological changes were calculated and the respective impact of driving factors (climate, land use, engineering works) was discussed. In the Lower Siret River, morphological adjustments, especially active-channel narrowing (-46 % between 1940 and 2010) and simplification of channel pattern, can be explained by engineering interventions especially in the 1970s rather than just climatic variability. Résumé Cette étude s'attache à analyser la dynamique fluviale sur un siècle d'un cours d'eau fortement anthropisé, en lien avec les politiques d'aménagement et la variabilité climatique. Ce travail se concentre sur le secteur inférieur du Siret, avant dernier affluent du Danube (130 km de long et débit moyen annuel de 210 m 3 /s à la station de Lungoci). L'objectif de cet article est 1) de déterminer et d'analyser les modifications morphologiques du Siret infé-rieur du début du XX e siècle à 2010 et 2) d'en déterminer les principales causes. L'étude se fonde sur l'analyse de données historiques (textes et cartes), des données hydrologiques et climatiques et l'historique de l'aménagement de la rivière. À partir d'une analyse statistique et de la création d'un SIG, les évolutions hydro-morphologiques ont été quantifiées et la part de chacun des facteurs explicatifs (climat, occupation du sol, aménagements) discu-tés. Les principaux résultats montrent une contraction majeure de la bande active (-46 % de 1940 à 2010) et une simplification du style fluvial particulièrement après 1970. Ces modifications sont expliquées avant tout par les stratégies d'aménagement de lutte contre les inondations (chenalisa-tion, reboisement des berges et barrages) plutôt que par la variabilité climatique. Mots clés : changements morphologiques, aménagements, contraction de la bande active, Siret inférieur, Roumanie. INFORMATION SUR L'ARTICLE : Reçu le 9 mai 2014 Reçu sous sa forme révisée le 11 septembre 2014 Définitivement accepté le 21 novembre 2014 *Auteur correspondant, Tél. : 33 (0)1 34 25 64 09 ; Fax : 33 (0)1 44 07 75 63 Courriels : florence.salit@u-cergy.fr (Florence Salit) gilles.arnaud-fassetta@univ-paris-diderot.fr (Gilles Arnaud-Fassetta) zaharialili@hotmail.com (Liliana Zaharia) malika.madelin@univ-paris-diderot.fr (Malika Madelin) beltrando@univ-paris-diderot.fr (Gérard Beltrando) be. Le Siret a fait l'objet d'un aménagement intensif (900 km de digues) particulièrement après l'inondation majeure de 1970 (tab. 1). La seconde partie de l'article s'attache à décrire les don-nées et méthodes utilisées, afin de définir les variations hy-drologiques et morphologiques du Siret inférieur. Les don-nées hydrologiques utilisées sont des séries chronologiques de débit – liquide et matières en suspension (MES) – à la station de Lungoci. Un test de tendance (Mann-Kendall) et deux tests de rupture ont été appliqués pour détecter une singula-rité unique (Pettitt) ou multiple (Hubert) à toutes les séries de données. L'analyse diachronique des dynamiques en plan du Siret a été réalisée à partir des données spatiales de 1940, 1981 et 2010, digitalisées, intégrées et analysées dans un SIG. Le secteur a été découpé en quatre tronçons homogènes et dix sous-tronçons (fig. 1). Quatre indices ont été calculés : la longueur du chenal, la largeur de la bande active, l'indice de tressage et l'indice de sinuosité. La troisième partie présente les différents résultats des analyses hydrologique et morphologique. On constate une diminution de 46 % de la largeur de la bande active de 1940 à 2010 sur l'ensemble du secteur (fig. 2). La majorité (81 %) de cette réduction se déroule entre 1940 et 1981. Ces tendances masquent les différentes évolutions au sein du secteur. Associés à une contraction majeure de la bande active , les deux premiers tronçons connaissent une simplification de leur style fluvial, qui passe d'un style en tresses à rectiligne, surtout à partir de 1970 (fig. 3). Trois phases ont été identifiées dans l'analyse hydrologique (fig. 4) : 1) 1951/53-1968 : des débits faibles et donc des crues peu nombreuses ; 2) 1968-1984 : des débits liquides et d'alluvions en suspension moyens et maximaux importants ; 3) 1985-2010/11 : forte variabilité des débits liquides. Les crues sont moins fréquentes que lors de la période précédente mais plus in-tenses. Les débits de MES connaissent une baisse majeure surtout à partir de 1991. La quatrième partie met en avant les causes de ces diffé-rentes évolutions constatées. Plusieurs facteurs explicatifs sont analysés : les facteurs climatiques, les changements d'occupation du sol, plus particulièrement l'évolution des surfaces boisées, et les aménagements dont les barrages et les digues. Chacun de ces facteurs peut avoir une action combinée dans le système fluvial (Gregory, 2006) ou même avoir des effets qui s'annulent. L'analyse des cumuls de pré-cipitations montre que les débits plus faibles des années 1950 et 1960 tout comme la hausse des débits constatée dans les années 1970 jusqu'au milieu des années 1980 s'ex-pliquent en partie par le régime des précipitations. Ainsi, les premiers résultats obtenus suggèrent que le rétrécissement de la bande active constaté dans les années 1970-80 ne peut être lié à une période de crues moins intenses ou moins fré-quentes puisque cette période correspond à une hausse moyenne des débits en lien avec une augmentation des pré-cipitations. Les phases de variations des débits liquides tout comme la période de contraction de la bande active ne correspondent pas aux années de mise en place des barrages (1977-1992) ; ces derniers ne semblent être que des facteurs aggravants du phénomène. La chenalisation et plus particu-lièrement les travaux de régularisation effectués sur le Siret apparaissent comme l'une des causes principales de la contraction de la bande active. Plusieurs éléments en témoi-gnent : 1) la concomitance entre période de contraction de la bande active et période d'aménagement intensif et 2) la réduction brusque en un ou deux ans de la largeur de la bande active, notamment pour les TR1.2 et TR1.3 (fig. 5). Les variations spatiales (entre les tronçons) et temporelles (sur environ un siècle) des ajustements du chenal ne per-mettent pas d'apporter une réponse unique aux différentes évolutions constatées. La figure 7 présente la synthèse des causes possibles et du poids de chacune dans l'évolution de la largeur de la bande active du Siret inférieur de 1900 à 2010, avec une attention particulière accordée à la période 1970-1980. Plusieurs périodes sont distinguées : 1) 1900-1950 : le climat et le couvert forestier sont considérés comme des facteurs explicatifs majeurs dans l'élargissement de la bande active car aucun aménagement n'est présent lors de cette période ; 2) 1950-1969 : le ralentissement de l'élar-gissement de la bande active à partir des années 50 n'est qu'une hypothèse : la baisse des cumuls pluviométriques, qui se traduisent par une baisse des débits moyens annuels, peut conduire au ralentissement de l'élargissement ; 3) 1970-1983 : la chenalisation massive combinée aux mesures intensives de reboisement des corridors fluviaux favorisent une contraction de la bande active et un accroissement des vitesses d'écoulement. Les conditions climatiques (forts cu-muls pluviométriques annuels conduisant à de nombreuses crues) n'ont pas pu jouer un rôle dans cette tendance. Au contraire, elles auraient plutôt eu un rôle inverse en favorisant la mise en place des politiques d'aménagement. Mis en service à la fin de cette période seulement, les barrages n'ont fait qu'accentuer cette tendance ; 4) 1984-1991 : les barrages as-sociés au maintien de l'endiguement ont accentué la réduction de la bande active ; 5) 1992-2010 : la chenalisation a favori-sé la stabilité de la bande active. Les conditions climatiques, même si elles sont très variables (événements hydro-clima-tiques intenses sur la période), ne peuvent jouer sur ce mar-queur, le lit étant contraint dans un réseau de digues. Le Siret inférieur est un exemple de rivière fortement anthro-pisée dont les caractéristiques morphologiques actuelles sont très influencées par la vague d'aménagements des années 1970. Les politiques passées de gestion de la rivière ont modifié le comportement du système fluvial et, en ce sens, les nouvelles stratégies de gestion des inondations doivent intégrer ces nouvelles caractéristiques hydrogéomorpholo-giques pour une meilleure appréhension des interactions Homme-Environnement.