En décembre 2103, la prestigieuse revue française Annales, Histoire, Sciences Sociales a publié un dossier consacré aux statuts sociaux en Europe de l'Antiquité grecque à nos jours 1. Elle ouvrait ainsi une réflexion sur le rôle que peuvent jouer les études sur les statuts sociaux dans une refondation de l'histoire sociale et au-delà, dans une redéfinition des liens entre l'histoire et la sociologie. La notion de statut social telle qu'elle est définie dans l'éditorial, articule trois dimensions. La première est juridique : le statut, surtout dans les sociétés médiévales et modernes, unit, en effet, un ensemble de droits, de privilèges et d'exemptions, à un ensemble de devoirs et d'obligations attachées à un statut personnel ou collectif. La seconde dimension, liée à la sociologie wébérienne, est plus proprement sociale : elle attache à un individu, ou à une famille, un ensemble d'attributs sociaux, économiques ou symboliques, souvent variables, qui les positionnent au sein de la structure sociale dans laquelle ils évoluent. La troisième dimension de la notion de statut est épistémologique. Au-delà d'un outil dont peuvent jouer les acteurs sociaux, le statut est aussi l'instrument par lequel les historiens décrivent une société donnée, et il doit être, en tant que tel, l'objet d'un processus d'historicisation 2. Ce dossier des Annales fait directement écho à un autre, publié dans la même revue en décembre 2011, consacré aux statuts sociaux dans le Japon de l'ère Edo 3. Les cinq articles qui le composaient s'inséraient dans une série d'échanges scientifiques, initiée depuis le milieu des années 2000 par le groupe Trad3, fondé par le professeur Yoshida Nobuyuki, de l'Université de Tokyo, et relayé en France par Guillaume Carré, maître de conférences à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales 4. Au fil des années, ces échanges ont permis de mettre à la disposition des deux communautés scientifiques, dans des traductions de haute qualité, de nombreuses contributions scientifiques sur la société française ou sur la société japonaise des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Le commentaire que la revue Shiso nous invite à présent à donner sur les versions japonaises des cinq articles de 2011, est, pour nous, l'occasion d'aller au-delà des fructueuses lectures croisées auxquelles nous nous sommes livrés jusqu'à présent. Il nous permet en effet de réfléchir aux bases d'une histoire commune des sociétés urbaines de la France d'Ancien Régime et du Japon de l'ère Edo. La notion de « statut », qui fait un retour remarqué dans l'historiographie française, et d'une manière plus 1 « Statuts sociaux », Annales, Histoire, Sciences Sociales, vol. 68, n° 4, octobre-décembre 2013. Cette revue est l'héritière des Annales d'histoire économique et sociale, fondées en 1929 par Lucien Febvre et Marc Bloch. 2 Voir, en particulier, Etienne Anheim, « Les hiérarchies du travail artisanal au Moyen Age entre histoire et historiographie », Annales, Histoire, Sciences Sociales, vol. 68, n° 4, octobre-décembre 2013, p. 1027-1038. 3 « Les statuts sociaux au Japon (XVII e-XIX e siècle) », Annales, Histoire, Sciences Sociales, vol. 66, n° 4, octobre-décembre 2011. Le dossier est introduit par un article historiographique de Guillaume Carré, « Les marges statutaires dans le Japon prémoderne : enjeux et débats ». 4 Voir les dernières livraisons de Nenpo Toshishi Kenkyu (The Urban History Annual), ainsi que le numéro n° 29 (2010/3) de la revue Histoire Urbaine, intitulé « Edo au XIXe siècle : espaces et société ». Il comprend les articles de Guillaume Carré, « D'une histoire en marge à l'histoire des marges. Les études urbaines sur la période prémoderne (XVIe-XIXe siècles) au Japon », de Yokoyama Yuriko, « Coiffeurs et coiffeuses d'Edo et de Tokyo » ; de Iwabuchi Reiji, « Un guerrier dans la ville. Obligations de service et sorties d'un samouraï en poste à Edo au XIXe siècle » ; et de Yoshida Nobuyuki, « Edo au fil de l'eau ».