En même temps que la réalité change, nos lunettes pour la regarder changent aussi. Les deux sont difficiles à démêler, pourtant il est important de ne pas les confondre, de ne pas imputer à des évolutions sociales des modifications dans la façon de regarder les faits. Nous devons assumer nos évolutions conceptuelles, et faire aussi progresser nos méthodes d’analyse en conséquence.Notre époque semble marquée par l’accroissement des incertitudes, en particulier sur les parcours de vie. Il nous faut reconnaître pourtant que notre culture et notre idéologie ont également changé par rapport aux conceptions linéaires, continuistes, du temps et des biographies. Ces évolutions culturelles ne se font pas au même rythme dans tous les pays. Ni l’incertain, ni sa valorisation, ni les ressources et compétences pour s’y mouvoir ne sont également distribués. Cet entremêlement de faits et de normes doit nous inciter à la prudence, en particulier en matière de recul historique. Peut-être devons-nous commencer par distinguer l’incertain comme réalité de l’incertain comme label ou comme injonction. C’est là précisément que le changement de lunettes doit être réfléchi, pour s’assumer comme une évolution dans les concepts mais aussi dans les méthodes d’enquête et d’analyse.Je proposerai quelques points-clés sur lesquels concentrer nos efforts pour que les méthodes en sciences sociales se montrent à la hauteur des évolutions déjà engagées dans nos sociétés, nos cultures, nos conceptualisations de l’incertain. Nous devons veiller à ce que nos lunettes nous permettent de voir et de comprendre précisément les discontinuités, les imprévisibilités et les événements qui impactent le cours attendu des parcours sociaux. Nos méthodes doivent nous permettre non seulement de penser l’incertain, mais de le penser bien.