La table d'harmonie du piano est une pièce en bois mise en vibration par les cordes pour permettre un rayonnement efficace du son. Sur le plan acoustique, c'est la pièce maîtresse de l'instrument : elle facilite le transfert d'énergie entre la corde (dont l'efficacité de rayonnement est très mauvaise du fait de sa petite section) et le fluide environnant (l'air). En première approximation, il s'agit d'une structure plane constituée d'une plaque en épicéa (matériau orthotrope) raidie par plusieurs barres rectilignes pseudo-périodiquement espacées (raidisseurs) sur toute sa surface et par deux barres courbes supplémentaires de plus forte raideur (chevalets), lieux de couplage des cordes et de transmission de leur mouvement. Les problèmes posés au facteur de piano sont de deux ordres : certains aspects de l'instrument restent peu satisfaisants (même si on s'y est plus ou moins habitué) et l'empirisme traditionnel est trop coûteux et sans doute inefficace pour faire aboutir avec succès des modifications significatives. Citons quelques questions concrètes sans réponse à l'heure actuelle : - comment améliorer le fonctionnement de la table pour les notes aiguës " timbre insatisfaisant " ? - quelle est la fonction dynamique des raidisseurs et du chevalet ? Leur importance ? Quels seraient les effets des modifications de la taille de ces superstructures (nombre/taille/espacements/géométrie...) ? - ou encore : quel parti sonore peut-on tirer d'un changement de matériau (remplacement du bois par une structure composite par exemple) ? Contrairement aux instruments à cordes frottées, où l'énergie est entretenue par le mouvement de l'archet, le pianiste n'a pas de contrôle en continu sur l'excitation de la corde (et donc sur le son) une fois le marteau échappé. La conception du piano est donc fonction du compromis choisi entre l'amplitude du son et sa durée : doit-on dissiper beaucoup d'énergie tout d'un coup, ou moins mais plus longtemps ? Une bonne adaptation d'impédance sur toute la tessiture de l'instrument entre la source (la corde) et le consommateur (la table d'harmonie) d'énergie est difficile à réaliser. Il est donc tentant d'étendre à l'ensemble de la tessiture du piano une démarche prédictive permettant d'optimiser les propriétés dynamiques de la table d'harmonie afin de chercher à concilier, de manière satisfaisante pour l'oreille sur l'ensemble des partiels, les impératifs de puissance acoustique et de longueur de son. La conférence se divisera en deux parties. Dans une première partie nous présenterons les recherches scientifiques menées ces dernières années au LVA (INSA de Lyon) et au LMS (École Polytechnique) sur la vibro-acoustique de la table d'harmonie. Des résultats expérimentaux, analytiques et numériques seront donnés et nous tenterons de répondre aux questions relatives à la facture du piano émises ci-dessus. Un outil prédictif analytique en cours de développement au LVA, mettant en lumière les rôles significatifs du chevalet et des raidisseurs dans la recherche d'une optimisation du compromis " puissance rayonnée - longueur de son ", sera également évoqué. Dans la seconde partie de la conférence Stephen Paulello présentera les pianos qu'il conçoit et fabrique dans son propre atelier, également laboratoire d'expérimentation et d'exploration d'idées novatrices. Actuellement, il s'attache à repenser la table d'harmonie (brevet en cours de dépôt), obtenant des performances acoustiques spectaculaires. Afin d'illustrer cette conférence, une écoute comparative de deux enregistrements effectués par Georges Pludermacher de Gaspard de la Nuit de Maurice Ravel dans les mêmes conditions d'enregistrement sur un piano Steinway et un piano Stephen Paulello sera menée.