En particulier dans L'évolution créatrice, Bergson propose une démarche qui tient compte des acquis de la biologie de son temps et de la dimension scientifique de l'intelligence humaine. On peut affirmer que, tant dans Les données immédiates de la conscience que dans Matière et mémoire et dans L'évolution créatrice, Bergson réalise l'intégration d'une analyse épistémologique des sciences expérimentales et d'autres composantes de l'activité humaine, dans une unité de vie de l'être humain. Mais dans l'itinéraire de Bergson lui-même, il y a un ordre, les acquis issus de l'analyse épistémologique de la psychologie et de la biologie viennent progressivement nourrir une philosophie. Ainsi les grandes lignes de l'épistémologie bergsonienne contribuent à constituer un système de valeurs caractérisant l'humain. On peut citer : l'inscription de la vie humaine dans le double registre de la simultanéité et de la durée, la dynamique de la vie (se traduisant à la fois par la détermination - différente du déterminisme - et l'imprévisibilité), l'expression d'une double tendance à l'individualité et à l'association chez le vivant. Ce système de valeurs serait donc marqué par la force de la conscience, capable d'assumer ses choix dans une durée, la solidarité existentielle de l'homme et de son environnement, la nature à la fois individuelle et sociétale du vivant, l'unité du corps biologique et de l'esprit et ses conséquences éthiques. De l'épistémologie à l'éthique, Bergson situe les valeurs humaines entre créativité et limite, entre le progrès déterminé et la forme imprévisible de la vie, entre le clos et l'ouvert. Les valeurs implicites de l'épistémologie bergsonienne ont trouvé leur achèvement dans Les deux sources de la morale et de la religion (1932). Une démarche actuelle d'épistémologie de la biologie peut insister sur le caractère à la fois déterminé et imprédictible de la vie, sur l'émergence progressive de structures et d'activités, sur la part des conditionnements biologique et l'espace de liberté dans l'agir humain. Elle peut aussi ouvrir au nécessaire dépassement de l'individualité qui ne saurait être posée comme ultime. Dans la ligne de la démarche bergsonienne, une philosophie intégrant une épistémologie du vivant peut ouvrir à des valeurs humaines de vivre ensemble, de créativité et d'ouverture.