La peur est sans doute l'une des rares émotions que l'on ne souhaite voir satisfaite autrement que par les moyens de l'art. La seule à pouvoir prétendre appartenir en propre à ses prodiges d'expression et de représentation. Celle qui trouve volontiers abri entre les lignes, entre les plans, entre les figures. L'art est l'endroit parfait pour la susciter en toute impunité, sans doute le seul auquel on accepte de prêter les clés de nos angoisses les plus refoulées. On se plait à avoir peur dans une salle ou avec un bouquin, mais pas tellement en dehors, alors que rire ou pleurer sont des états recevables, soutenables, des deux côtés. A quoi ça tient ? Ce qui nous fait peur dans la vie tient moins à l'objet désigné de la peur qu'à notre incapacité de savoir comment le conjurer, le maîtriser, le neutraliser, et surtout de savoir combien de temps cela va prendre. Avoir peur face à un film, une représentation théâtrale, un roman, est davantage un effet de la structure mise en place, au croisement de deux sentiments, la menace (pour autrui, le personnage de la fiction) et la protection (le rempart médian de la scène, de l'écran, des pages).