Pour l'Aquitaine du VIè et VIIè siècle, quelques sources exceptionnelles permettent de mettre en lumière l'histoire de deux familles aristocratiques de la région albigeoise qui ont su faire parler d'elles : la première appartient à une vieille et puissante lignée sénatoriale du Midi de la Gaule, les Salvi-Didier ; la seconde, aux noms germaniques, celle de Chramsicus et de sa fille Ségolène, s'est probablement fixée à Albi au cours du VIème siècle, accompagnant l'emprise des Francs sur la région aquitaine. C'est sur les Salvi-Didier que nous avons le plus de renseignements. Pour le VIè siècle, Grégoire de Tours évoque l'existence de trois membres de cette puissante famille : le duc Didier, chef militaire au service du roi de Neustrie Chilpéric, puis du roi de Bourgogne, Gontran, dont la zone d'action est centrée sur l'Aquitaine Ière et l'essentiel de ses possessions en Albigeois ; le deuxième personnage est saint Salvi, ancien magistrat local, puis évêque d'Albi, mort en 584, que Grégoire connaît personnellement et dont il fait l'éloge funèbre ; il signale enfin un autre Didier qui succède à Salvi sur le siège épiscopal. Pour le VIIè siècle, un ensemble de sources vient éclairer une dernière fois l'histoire des Salvi-Didier : il s'agit d'abord d'une série de lettres écrites ou reçues par Didier, évêque de Cahors entre 630 et 655, auxquelles s'ajoute le récit hagiographique de la vie de ce même Didier, écrit ou réécrit au VIIIème siècle. L'histoire de cette famille est tout à fait représentative des anciennes élites sénatoriales, passées du service de l'Empire à celui du souverain franc, et conservant des assises solides dans la région aquitaine : une énorme fortune foncière qui lui procure le pouvoir économique et social nécessaire et un réseau de parents dont la puissance est solidement établie depuis des siècles de l'Albigeois à l'Auvergne. Une autre famille, contemporaine des Salvi-Didier, émerge de la documentation au VIIème siècle : celle de sainte Ségolène, abbesse du Troclar (près d'Albi), qui a probablement vécu dans la première moitié du siècle. C'est grâce à sa Vita que nous connaissons ce lignage. Son auteur a écrit ce récit dans la seconde moitié du VIIème siècle, à un moment où les descendants de la sainte cherchent manifestement par ce moyen l'occasion de renforcer leur prestige. Cinq hommes sont nommément cités : son mari, son père et ses trois frères. Tous ont des noms francs : Gislulfus, Chramsicus, Sigivald, Gisloald et Babo ; ces trois derniers sont respectivement présentés comme évêque, abbé et duc des Albigeois. On ne les connaît par ailleurs par aucune autre source, mais leurs noms rappellent ceux de personnages publics évoqués dans les Histoires de Grégoire de Tours et la chronique de Frédégaire, en particulier les ducs Sigivald (père et fils) envoyés en Auvergne par le roi Thierry dans les années 520-530, ou encore cet autre duc d'Auvergne, Bobo, qui meurt au combat en 641 ; ce dernier, contemporain de Ségolène, est peut-être son frère. Dans tous les cas, on peut assurer que Chramsicus et ses fils sont issus de cette aristocratie franque chargée de contrôler une zone sensible aux confins des territoires austrasiens (Albi en étant l'extrême limite). Leur lien avec le royaume d'Austrasie explique pourquoi au VIIIe siècle une partie des reliques de Ségolène est transportée à Metz dans une église qui lui est dédiée. Ces deux familles albigeoises, d'origine différente et peut-être rivales sur le terrain, partagent donc des valeurs et comportements communs qui illustrent parfaitement les transformations que connaissent alors les élites des royaumes mérovingiens : la fusion et l'acculturation réciproque entre Romains et Francs, l'emprise sur les fonctions sacrées (évêchés, monastères, sainteté), et la détention de la puissance publique.