Ma réflexion se centre sur Orlando car, d'emblée, ce texte invite le lecteur au déchiffrement, en affichant de manière quasi-ostentatoire des signes offerts comme autant de clés de lecture ou d'énigmes à percer à jour. Il en est ainsi de la dédicace inaugurale à Vita Sackville-West, des photographies insérées au fil du roman, de la reproduction de tableau figurant en couverture de l'édition originale, mais aussi des interventions d'un narrateur-biographe qui cherche à grand peine à lever le secret de la vie d'Orlando. Pourtant, ces signes ne cessent de poser question et, au lieu de s'inscrire dans une logique de la représentation, ils semblent mettre en œuvre une stratégie ludique, fondée sur la mystification, le faux-semblant, le trompe-l'œil. On s'interroge donc sur la fonction de ce faux, offert au regard : fonction dilatoire, car l'écriture vit du suspens du dévoilement ; fonction de masque, proposant un substitut visuel au secret ; mais aussi puissance positive de figuration, qui passe par la subversion de la représentation mimétique et une mise en crise du langage même. Le concept de simulacre élaboré par Deleuze permet d'envisager un dépassement possible de la dialectique voilement / dévoilement, faux / vrai, fiction / réalité, image / modèle, et de concevoir une vérité qui ne tient pas en un objet herméneutique qu'il conviendrait de mettre à jour. Le secret serait alors peut-être, avant tout, de l'ordre d'un questionnement sur l'écriture, qui redéfinirait notre place de lecteur : moins comme des herméneutes lancés dans une chasse au trésor que comme des partenaires d'un jeu par lequel l'écriture se fait et qui constitue l'œuvre même. Il s'agit donc de s'interroger, non pas sur ce qui figure en secret dans le texte (perspective qui envisagerait le texte comme un réceptacle) mais sur ce que le texte figure (texte comme agent, produisant des effets) et sur la manière dont, en définitive, est figuré le secret du texte.