L'article se propose de préciser la définition et de jeter un éclairage nouveau sur le concept de Stunde Null (« heure zéro ») qui a fait florès dans les pays germaniques, et plus particulièrement en et à propos de l’Allemagne. Si ses défenseurs en soulignent la concision, la clarté (distinction entre « avant » et « après ») et la pertinence (changement du cadre politique et économique), ses adversaires lui reprochent au contraire son côté simpliste (prétention de pouvoir faire l’impasse sur le passé) et euphémistique (remise des compteurs à zéro comme exercice de purification illusoire). La notion, qui se décline à la fois sur le plan historique, culturel et social, est de toute évidence complexe. Alors qu’elle se réfère fréquemment au 8 mai 1945 et, plus généralement, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, césure par excellence dans l’histoire contemporaine allemande, elle est également utilisée pour désigner d’autres ruptures marquantes, notamment les bouleversements des années soixante-dix et la chute du mur de Berlin. Parmi les essais les plus connus du grand public, on peut citer ceux de l’auteur Wolfgang Büscher et de l’ancien président fédéral Richard von Weizsäcker qui placent le terme de Stunde Null au cœur de leurs réflexions. Or, il se trouve que les dates retenues ne sont pas identiques : tandis que von Weizsäcker se positionne sur le plan de l’histoire politique de l’Allemagne et opte pour 1949, 1969 et 1989, Büscher, dans une perspective plus autobiographique, privilégie 1945, 1968 et 1989. C’est à l’examen de ces différentes césures que se propose de procéder l’introduction qui suit, en problématisant le concept de Stunde Null, situé entre « mythe et réalité ». Si l’« heure zéro » figure au programme de l’exposition sur les « mythes » de l’histoire allemande actuellement organisée par la Haus der Geschichte de Bonn – confirmant au passage l’actualité de cette perspective –, nous avions pour notre part d’emblée affiché notre intention d’en examiner également la réalité. Ainsi notre propos porte-t-il sur l’étude de la tension existant entre « rupture et continuité » à propos de la Stunde Null. Par ailleurs, contrairement à Uta Gerhardt qui, dans sa « Sociologie de l’“heure zéro” » (Soziologie der Stunde Null ), se concentre sur l’analyse des changements survenus à l’Ouest sous l’impulsion de l’occupation américaine, on s’efforcera de faire – pour chacune des dates-clés – la distinction entre Allemagne de l’Ouest et de l’Est.