Ce livre paraît quelques mois après une intense séquence de mobilisation sociale : en dépit de six mois de luttes contre le recul de l'âge de départ en retraite, le passage en force du pouvoir a signé l'échec revendicatif du mouvement. L'état de faiblesse des syndicats, le poids des institutions du capitalisme global et financiarisé sur la fabrique des politiques publiques, la fermeture des élites gouvernantes aux demandes populaires : il existe d'innombrables explications sociologiques pour comprendre les raisons de ce revers, qui sont d'ailleurs tout aussi valables pour éclairer l'échec des mobilisations précédentes. En mettant au jour le poids des structures sociales et des inerties organisationnelles, en insistant sur les tendances lourdes, les invariants ou les impensés que les discours militants tendent à laisser de côté, le travail des sciences sociales incarne souvent le « pessimisme de la raison » face à « l'optimisme de la volonté », au risque parfois de contribuer au « fatalisme du probable ». Ce livre fait le pari inverse : s'il rassemble des contributions de chercheuses et chercheurs en sociologie, en histoire et en science politique, il entend mettre l'accent sur les contradictions de la conjoncture plutôt que de laisser penser qu'il n'aurait pas pu en être autrement. Parmi ces contradictions, la question du rapport des syndicats à la politique constitue selon nous un nœud décisif de la situation. Si le mouvement de 2023 a, comme d'autres auparavant, témoigné de la réserve politique des syndicats, il nous semble aussi annonciateur de la possible clôture d'un cycle de trente ans de dépolitisation syndicale.